EARWIG

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Cinéaste rare, Lucile Hadzihalilovic bâtit, depuis La Bouche de Jean-Pierre, son premier moyen métrage, puis Innocence et Evolution, une œuvre singulière dans le panorama du cinéma français. Ses films méticuleusement mis en scène, déploient des univers mystérieux ou des atmosphères inquiétantes, dans des cadres très composés. 

Earwig ne fait pas exception, et développe une histoire aux frontières du fantastique.  

La petite Mia, âgée d’une dizaine d’années, nécessite des soins dentaires constants : ses dents, en salive gelée, doivent être remplacées à intervalles réguliers. Un homme d’une cinquantaine d’années s’occupe d’elle et leur quotidien est réglé selon un timing strict. Jusqu’au jour où un appel téléphonique annonce un voyage.  

Earwig (perce-oreille en anglais mais aussi celui qui écoute aux portes en argot) est adapté d’un roman de Brian Catling mais la tonalité du film penche plus vers celle d’un conte aux allures de rêve, voire de cauchemar. La géographie comme la période de ce récit en eaux troubles restent assez floues et les intérieurs dépouillés et sombres figurent un espace étrange, une sorte d’espace mental à explorer. 

 
Dans le même genre vous pouvez trouver ERASERHEAD (David Lynch met en scène un personnage confronté à un univers énigmatique.) ou encore EVOLUTION (Une autre réalisation de Lucile Hadzihalilovic coscénarisée par Geoff Cox.).

Une nouvelle fois, Lucile Hadzihalilovic livre une histoire organisée autour d’un enfant, même si dans Earwig c’est un homme de cinquante ans qui occupe le premier plan.  "Mes films sont des contes, des histoires d’apprentissage, commente la réalisatrice. Ce moment de "coming of age" comme on dit en anglais, m'inspire et continue de me tourmenter, de me troubler. Le monde des enfants me paraît logique et plus fort, plus vivant. Les enfants sont encore très innocents et frais dans leur regard sur le monde, ce qui permet des choses plus poétiques avec eux, et émotionnellement plus fortes. » On n’aura pas d’explication sur les dents de glace de la jeune Mia mais, si mystérieux que soit cet élément du récit, l’essentiel n’est pas forcément là. 

« C’est peut-être un défaut mais j’ai toujours peur de trop en dire, de trop dévoiler, confie Lucile Hadzihalilovic  J’ai peur que l’ensemble retombe si je dis tout.» La cinéaste invite le spectateur à plonger dans des univers énigmatiques où il est libre d’interpréter à sa guise les indices qu’elle glisse. Dans Earwig, le tableau du bâtiment sur fond de ciel rougeoyant en représente un bien sûr. Le vaisselier d’Albert est non moins important. Les sons émis par les verres… Son cinéma s’adresse aux sens : « c’est ce que j’aime en tant que spectatrice : ressentir des sensations, des émotions qui excitent mon imagination. Je trouve plus stimulant d’évoquer plutôt que de tout dire ou tout montrer. Suggérer ce qui est dans l’ombre plutôt que de placer les choses en pleine lumière. » 

Traumatismes, dérèglements, Earwig met en scène des moments de fracture, des existences qui basculent, des mémoires bousculées avec des effets de symétrie, d’échos. Nos interrogations rejoignent celles des personnages. La réalisatrice explique : « on suit beaucoup le point de vue du personnage, et je ne veux pas que le spectateur en sache plus que lui, même dans les moments où l’on n’est pas avec lui. Il y a des choses qu’Albert refuse de voir ou se remémorer, je ne les montre pas au spectateur. Je n’aime pas l’ironie dramatique, je n’aime pas qu’on sache ce qu’on n’est pas censé savoir. » 

Troisième long-métrage en 18 ans, "Earwig"concrétise brillamment ce qu’est le cinéma pour Lucile Hadzihalilovic : une vision du monde par le prisme du bizarre, de l’étrangeté, placé dans un espace-temps difficilement situable. Ce long-métrage installe dès ...

Quiconque a déjà pénétré dans l’univers onirique de Lucile Hadzihalilovic sait peu ou prou à quoi s’attendre en allant voir Earwig : une atmosphère entêtante, une trame narrative dégraissée jusqu'à l’os et, surtout, une nouvelle histoire d’enfance tourmentée. ...