CREATURA

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Creatura est un projet ambitieux, et sa sélection à la Quinzaine des cinéastes à Cannes en 2023 n’a rien d’un hasard. Elle prend comme point de départ une dispute entre Mila et son compagnon, à la suite d’une mésentente au moment d’un rapport sexuel. L’anicroche n’a rien de grave mais il réveille un trouble bien plus profond et protéiforme pour Mila. S’enclenche alors une sorte d’enquête intime pour comprendre d’où cela vient. Car si Creatura n’est pas à proprement parler un polar, mais bien un drame intime, il en emprunte les codes.

Cette plongée dans le passé de Mila, à 15 ans puis à 5 ans, raconte par ellipses et par suggestions tout le parcours intime d’une fille, puis d’une femme, dont la sexualité se réveille sans qu’elle ne comprenne ce qui lui arrive, à coups de petites humiliations et incompréhensions. Écrit, réalisé et joué par Elena Martín, qui tient à bout de bras le film, Creatura est d’une grande intelligence et délicatesse sur un sujet extrêmement sensible.

Sa manière de filmer le corps, frontalement mais tout en restant pudique quand il le faut, permet à ce Creatura de ne jamais tomber dans le regard obséquieux ou malaisant. Son personnage principal, en proie à des crises d’eczéma, voit son corps meurtri par le stress et l’anxiété. Qui plus est, le film se déroule au sein de la maison familiale de vacances sur la Costa Brava. Cette dimension étrange d’un lieu et d’un corps comme relié, ces plaques sur la peau, sont autant d’éléments qui relient le travail d’Elena Martín à celui de David Cronenberg.

Creatura est aussi un film sur le regard des autres. Celui des ados qui la traitent de “salope” car elle couche avec un garçon, celui des parents, mal à l’aise avec le comportement de leur fille, celui du petit-ami, totalement incapable d’écouter, soutenir et aider efficacement, malgré toute sa bonne volonté. Mila est seule avec ses démons, et ce film raconte aussi son parcours intime pour sortir de cet isolement. Passionnant.